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Deux villes au passé maritime extraordinaire ! Similitudes géographiques, historiques ou architecturales, atmosphères aux étranges ressemblances, battues par les vagues et les vents, villes corsaires et rebelles, villes de voyageurs et de découvreurs, entremêlant depuis des siècles les populations et leur culture.
A 3000 kilomètres de distance, deux sites insulaires mis en valeur par leur ceinture de remparts, aux couleurs bretonnes du granit pour l’un d’ocre pour l’autre enserrant une ville blanche et bleue. Sur chacune de ces cités, les palmiers veillent.
Vauban, considérait la ville de Saint-Malo comme une presqu’île située au fond du Clos-Poulet bornée à l’Ouest par la Rance, au Nord par la Manche, à l’Est par la baie de Cancale et les marais de Dol et au Sud par ces mêmes marais et ceux de Saint-Suliac. Les fortifications voulues par Vauban et réalisées entre 1689 et 1700 vont mettre Saint-Malo hors d’atteinte par des travaux complets de la pointe de Cancale au cap Fréhel, appuyés sur Châteauneuf, Dinan et Dol.
Afin d’assurer sa défense, la ville de Saint-Malo disposait de quatre forts de mer. En 1733, la ville perd définitivement son aspect insulaire, l’intra-muros est relié à la côte par une bordée de granit. « Saint-Malo de l’Isle » a longtemps été le nom de ce rocher de 15 hectares battu par les vents et les flots de la Manche, à peine rattaché à la terre ferme par la flèche de sable du Sillon. (cf. carte)
Mirage ou miroir de Saint-Malo, la ville d’Essaouira présente un caractère original, sans équivalent en Afrique du Nord, qui tient à ses fortifications à la Vauban, dotée de murailles compartimentant plusieurs quartiers intérieurs aux rues étonnamment et parfaitement rectilignes et larges dont on a pu dire d’elle qu’elle est « une fantaisie européenne sur un thème marocain ». Le plan en a été tracé par un français, Théodore Cornut, architecte et géomètre français, originaire d’Avignon et disciple de Vauban, à la demande du sultan Alaouite Sidi Mohammed Ben Abdallah qui décide de construire, en 1765, le plus grand port de son empire et lui en confie les travaux, avec mission de construire une ville de commerce dotée d’un port à l’abri des intempéries, même pendant les mortes-eaux.
Le Sultan désirait doter ses corsaires d’un port d’attache au mouillage sûr et d’où il pouvait surveiller la côte Sud pour empêcher les exportations clandestines. Le plan de la ville conçu en quadrilatère, est encore visible aujourd’hui, et il évoque pour certains, la ville de Saint-Malo. La ville est construite sur une basse et étroite presqu’île sableuse dont le rivage est fortement exposé aux fortes marées d’hiver de l’océan Atlantique.
Aux portes des deux cités, les forts des îlots, semblables à des navires de guerre au mouillage, protègent les deux belles. Les scalas, leurs batteries de canons pointés vers le large, disposées en fer à cheval ou alignées derrière les remparts face aux archipels d’îlots renforcent leur caractère grandiose : les échauguettes, interchangeables, postes retranchés placés dans les murailles, protègent le pied des remparts. Les bastions ou demi-bastions, haut perchés du côté de la terre, et les créneaux de mousqueterie dissuadent encore les éventuels ennemis de toute escalade.
A compter du 15ème siècle, la ville malouine connaît un essor économique sans précédent grâce à la pêche à Terre-Neuve. Cela continuera jusqu’au 17ème siècle, au cours duquel la cité, devenue premier port de France, connaît son apogée : on parle alors de ces « Messieurs de Saint-Malo », qui, sous Louis XIV, dominèrent le commerce et la course. Elle détient ainsi le monopole du commerce avec les Indes orientales.
Toutes les richesses, amassées à cette période, permettront à la ville d’agrandir ses remparts et de construire les hôtels particuliers qui font, aujourd’hui encore, la fierté de Saint-Malo, ainsi que, dans la campagne environnante, les « malouinières ». Ces demeures, plus d’une centaine, construites aux XVIIe et XVIIIe siècles sont ainsi de vaste demeures de plaisance pour les négociants de Saint-Malo : la décoration intérieure de ces résidences est souvent somptueuse. De leurs voyages, les armateurs rapportaient du bois des îles pour le mobilier et les parquets, des porcelaines, du marbre et des dessus en carreaux de Delft pour les cheminées : les pièces, quant à elles, étaient lambrissées de chêne.
Port royal, la cité de Mogador va progressivement assurer le commerce international du pays et devient le « port de Tombouctou ». Les caravanes subsahariennes apportaient d’Afrique leurs produits à destination de l’Europe. Durant la première partie du XIXe s, elle connut sa période la plus prospère en assurant près de la moitié des échanges maritimes, faisant d’elle le principal port du Maroc. C’est à cette époque que sont construites les maisons les plus somptueuses, par les riches commerçants venus s’installer dans la ville ainsi que par le sultan à l’intention des diplomates. La médina abrite un certain nombre de maisons de consuls, d’une richesse architecturale et décorative importante inspiré à la fois du style de construction européen et marocain. Toutes ces demeures attestent du goût raffiné de leurs constructeurs. Entre dunes et écume, Essaouira maintenait un équilibre, créait un lien entre les longues pistes caravanières et les grandes routes maritimes. Elle exporte les marchandises, grâce aux navires européens qui y font escale, vers Londres, Marseille, Amsterdam, Lisbonne ou Livourne. (cf. Guido n°10, avril 2006, « Mémoire du port »)
Au XIXe siècle Saint-Malo voit le tourisme se déployer précocement à la demande principale des Parisiens et des Anglais qui apprécient le site et y construisent de riches villas. L’activité balnéaire se développe. Des régates sont organisées dans la baie, des concerts et des pièces de théâtres, sont donnés pour l’aristocratie française, anglaise et même russe. Un casino est construit non loin de l’intra-muros. Après la côte d’Azur, la côte d’Emeraude devient la plus importante région touristique française.
La ville de Mogador se développe en tant que site touristique et balnéaire dans les années trente ; les touristes européens découvrent de plus en plus la cité, sa douceur et sa quiétude. Le tourisme s’organise avec l’ouverture des premiers restaurants et hôtels, établissements touristiques et commerciaux modernes, avec, en général, superbe vue sur la baie. Les plaisirs de la mer ne manquent pas et attirent les estivants des villes de l’intérieur du Maroc à la recherche de la fraîcheur ou en quête de pêche miraculeuse. Parallèlement, les voyageurs européens s’y rendent, attirés par les récits qui en sont faits, entraînant le développement de nouveaux commerces.
Le vent se lève. Les planches mettent les voiles, les baigneurs n’ont pas toujours très chaud ici comme là bas. L’air marin porte avec lui des parfums de liberté. Villes presqu’îles, cités corsaires, nos forteresses « Vauban » défient le temps, fières de leur histoire, les remparts dans les embruns. Les goélands et les mouettes, gardiens des lieux, piaillent portés par les bourrasques soudaines des vents qui s’engouffrent dans les rues.
Avec l’été à nos portes, les deux cités déploient leurs immenses plages sur leur baie respective. Villes en miroir, sur la gauche de la médina pour Essaouira, sur la droite de l’intra muros pour Saint-Malo. Toutes les deux partagent leur vocation de cités balnéaires battues par les vents mais ouvertes à tous !
Du passé prestigieux de la ville de Saint-Malo, recomposé, mythifié, sont nés les départs de courses océaniques, ou encore les salons d’écrivains comme celui des « Etonnants voyageurs ». A ce grand festival international annuel et à celui des « Musiques sacrées », répondent à Essaouira, tout autant ouverts sur l’extérieur, le festival des Alizés, celui des « Andalousies atlantiques » ou encore le très célèbre festival Gnaoua et musiques du monde.
Ici et là bas les éléments et les talents se déchaînent. Et peut être pourquoi pas, un jour, un jumelage possible ?