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Le patrimoine bâti d’Essaouira par ses consulats et ses lieux de culte témoigne d’une époque de cohabitation et de dialogue des cultures.
Mosquées, synagogues et églises rappellent ces époques d’échanges, attestant de la qualité de terre de rencontres, de mélanges, regroupant des populations arabes, juives, berbères, africaines ou européenne dans la ville. Néanmoins il est à déplorer que ce patrimoine tombe en ruine et que de nombreux bâtiments chargés d’histoire disparaitront tôt ou tard.
Dans un esprit de sauvegarde du patrimoine juif de la ville Haïm Bitton entreprend une opération de renaissance de la synagogue Slat Lkahal.
Celle ci se situe à l’extrémité Nord du Mellah, après l’arche qui est au bout du terrain dégagé, en venant de Bab Doukkala et en rentrant à droite, au Mellah.
Souiri d’origine, Haïm Bitton vit en Californie. Il lance ce projet de réhabilitation et de sauvegarde de la seule synagogue communautaire de la ville d’Essaouira sur plus d’une quarantaine inventoriée dans la ville, de taille plus ou moins importante. Ces synagogues appartenaient à des familles, telle la synagogue Simon Attia, non loin du début de la rue Lallouj un des vestiges les plus représentatifs du culte juif à Essaouira et faisant également office de tribunal rabbinique. Probablement l’une des plus belles de la ville, néanmoins de moindre taille que la synagogue Slat Lkahal et construite à la fin du XIXème siècle par Simon Attia, marchand juif souri, elle se trouve aujourd’hui dans un état alarmant où pratiquement seul l’oratoire à échappé à la ruine, préservant un pan de la mémoire de la ville.
Les travaux de la synagogue Slat Lkahal ont commencé sur les fonds propres de Haïm Bitton animé par une grande détermination. Une association a été créée dans le but de trouver les financements pour œuvrer à sa préservation ; des juifs mogadoriens du monde y participent déjà, la solidarité est puissante et les liens très forts. Plus de 30 tonnes de gravats évacués des lieux, le plafond s’écroulait, infiltré et détruit par le temps et la pluie. La synagogue est dans un état de délabrement avancé et la première chose à faire est de palier aux risques d’écroulement. Restaurer la dalle de l’étage en particulier pour lutter contre les infiltrations et refaire le plafond s’imposait.
Ce lieu de culte possède un retable ou arche (heikhal en hébreu) en bois travaillé, de facture italienne et non locale, baroque, en provenance de Livourne, en relativement bon état mais nécessitant restauration et peinture. Le heikhal Attia, de style victorien provenait lui de Manchester du fait des échanges intenses entre Essaouira et l’Angleterre.
Sauvegarder ce qui existe encore est le premier mot d’ordre. Cette synagogue fut construite pour l’arrière grand-père d’Asher Knafo, rabbin érudit, enterré dans le vieux cimetière juif de la ville et membre de la confrérie du « dernier devoir » (laver, préparer, enterrer les morts).
Les juifs de la ville, par tradition de charité, car c’était bien la raison de ces dons, charité envers les décédés par l’obole remise aux gens de la « Hevra », cette « amicale » assemblée de volontaires qui rendaient les services funéraires, donnaient l’obole lors des enterrements que le bedeau se chargeait de collecter. Seule cette synagogue fut construite avec des fonds publics. C’est à cette époque que la confrérie aurait acheté avec cet argent le terrain puis fait construire le bâtiment, lieu d’accueil communautaire, un des seuls à se trouver dans ce quartier Nord de la ville (avec la synagogue Haïm Pinto toute proche), les juifs riches étant établis au Sud de la ville. Siège d’une organisation sociale, en particulier pour les enfants nécessiteux de la communauté à qui l’on apprenait, entre autre, à parler et écrire l’hébreu. Haïm Bitton l’a lui aussi appris ici et de ce fait reste très attaché à ce lieu de culte et motivé par sa restauration.
Comme de nombreux juifs du Maroc, il quitte la ville en 1964 avec sa famille, dernière grosse vague d’immigration vers Israël après un relâchement des autorités suite au naufrage à Tanger d’une quarantaine de personnes juives et sous la pression des juifs marocains. Les premiers immigrants quittent le Maroc entre 1948 et 1958. Quelques familles demeurent à Mogador jusqu’en 1972, date de la dernière minyen ou quorum, qui accueillit 10 personnes (minimum imposé de participants) dans la Slat Lkahal. La porte se ferma derrière eux définitivement.
Il se libère de l’endroit un infini charme, une atmosphère de recueillement paisible. Il est intéressant d’observer la salle de prières de la synagogue, vaste et quasi carrée de 8 m de côté. Au fond le heikhal de bois, dans lequel du papier journal peint en bleu a mis à jour des quotidiens de 1956, deux colonnes centrales au milieu desquelles se trouvait la teba et sur lesquelles s’appuie la toiture, légèrement décalée afin d’être visible de tous. La salle disposait d’un éclairage central accroché aux poutres fait de grands verres fabriqués en Bohème (le royaume tchèque d’autrefois, connu pour le travail du cristal) : les gens payaient pour les remplir d’eau, d’huile et de mèches, sortes de « mariposa », cela avant l’arrivée de l’électricité dans la ville. Tout autour de la salle des bancs de bois. D’autres bancs étaient disposés dos à dos au centre de la pièce autour de la teba, plus de 100 hommes pouvaient s’y tenir et une trentaine de femmes sur le balcon supérieur, ainsi que dans une chambre attenante.
Aujourd’hui on peut voir sur les murs de la salle des fenêtres occultes : elles donnaient auparavant dans les maisons et les voisins pouvaient voir ou entendre les prières sans se déplacer. Dans la mesure où il n’existait aucun lieu assez spacieux pour construire cette synagogue communautaire, elle fut édifiée sur un terrain entre deux maisons, d’où les deux seules colonnes centrales de soutènement. Des poèmes liturgiques écrits en hébreu par des mogadoriens étaient lus et chantés chaque vendredi jour de shabbat, sur des airs arabo andalou et sans accompagnement musical.
Le jeune Haïm Bitton s’y rendait avec son père et en garde un souvenir ému. Dans les tumultueuses années 50, ce lieu de culte servait également de lieu de réunion. La création de l’état d’Israël y généra discussions, cours gratuits de talmud ou d’hébreu moderne. Dans les mémoires le lieu était toujours animé, vivant et nourrissant les échanges.
Au-delà de ses activités cultuelles et culturelles, la restauration de ce lieu de mémoire historique contribuera sans conteste à restituer le caractère multiconfessionnel d’Essaouira en réaffirmant le statut de terre de tolérance et de paix au Maroc. Un lieu à sauver à Essaouira tout comme le quartier du mellah où les maisons s’effondrent les unes après les autres.
La synagogue est une fonction et non un type architectural défini par une tradition et sont, de ce fait, des lieux d’apparence très simple. Rarement les synagogues sont repérables dans l’espace comme les mosquées ou les églises. Lieu d’assemblée, « temple israélite », la synagogue a emprunté les formes les plus variées aux cultures au sein desquelles elle s’est implantée.
Communiqué de dernière minute : l’association a l’énorme plaisir de vous annoncer qu’elle vient de recevoir un accord oral pour le soutien de l’UNESCO MAROC pour leur projet de réhabilitation de la synagogue SLAT LKAHAL de Mogador !
Dans peu de temps, elle pourra mettre sur la Home Page du site www.asl-mogador.net le logo officiel de l’UNESCO MAROC, ce qui consolidera le sérieux du travail déjà entrepris aux yeux de tous!
Si cela vous intéresse de la visiter ou de contribuer à sa remise en état :
Haïm Bitton ,
+212(0)6 53 16 45 68